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"Faire la loi"

  • Anissa EL MRINI
  • 8 oct. 2020
  • 15 min de lecture

« Cet homme régnait en maître, il faisait la loi chez lui » : c’est ce qu’affirmait, dans l’Assommoir de Zola, le narrateur à propos de Lantier. En effet, le personnage de Lantier, un homme déchu et misérable qui bascule dans l’ivrognerie, devient peu à peu un tyran qui finit par imposer son propre rythme à toute la maisonnée, à faire subir à sa compagne, Gervaise, un véritable calvaire. Ici, « faire la loi », c’est, pour Lantier, imposer une forme de domination qui lui permet littéralement de « faire ce qu’il veut ».

Pourtant, la « loi » est d’abord, dans une communauté politique, une règle générale censée garantir une forme d’ordre en rapport avec un idéal de justice et d’équité. En effet, cette loi permet de codifier les relations que les citoyens entretiennent entre eux afin de garantir la paix civile, et par là-même de pérenniser le « politique », cette communauté qui s’assemble en vue du bien commun, sur la base de valeurs partagées. La « loi », en faisant émerger le « droit », participe donc d’une forme de rectitude de l’ordre institué. La politique, qui consiste en l’ensemble des moyens mis en œuvre pour préserver la stabilité de cette communauté, permet donc l’élaboration d’un système politico-juridique qui a pour but de maintenir l’ordre au sein de la communauté, d’éviter le chaos qui règne lorsque chacun fait prévaloir son intérêt particulier, situation présentée par Zola dans l’Assommoir où, un individu n’obéissant qu’à ses propres règles, en arrive à établir sa domination sur les autres. Pourtant, si la loi doit garantir le bien commun en préservant l’intégrité et la liberté de tous, celle-ci est « faite » par un seul, ou par une partie de la communauté : dans une communauté politique, tout le monde ne fait pas la loi. En effet, la « loi », qui semble donc être quelque chose qu’il faut « faire » en ce qu’elle ne serait pas « déjà là », en ce qu’en son absence, on se trouverait dans une situation de chaos, quelque chose qu’il faut fabriquer à la manière d’un artisan qui, obéissant à un plan, si elle vise la préservation de l’intégrité et de la liberté de chacun, l’intérêt de tous, est pourtant faite par quelques-uns. Elle doit l’être par un seul « artisan », ou par un groupe d’ « artisans », que l’on va nommer les « législateurs » par exemple : pour fixer un ordre garant du bien commun, il faudrait alors en passer par la médiation d’une mince partie de cette même communauté. La puissance normatrice de la loi, qui opère un partage entre le légal et l’illégal, le licite et l’illicite, organise littéralement la société politique, en la structurant de part en part : elle délimite, sanctionne les faits et gestes des citoyens. Cette « fabrication » de la loi est donc lourde de conséquences, engage pleinement l’intégralité des membres de la communauté qui doivent s’y conformer, sous peine d’être punis, voire d’être banni de cette communauté.

Le problème est alors de savoir si cet artifice, cette fabrication de la loi, ce « faire », en ce qu’il est le propre de quelques-uns, en ce que l’expression de l’intérêt commun passe par la médiation d’une partie de ceux qui constituent la communauté politique, peut toujours aller dans le sens du bien commun censé être la fin du « politique ».

Il sera intéressant de voir tout d’abord que cette « fabrication » de la loi est nécessaire à l’entrée en politique et est la condition de sa pérennisation, qui passe alors par la rationalité d’un législateur avisé. Toutefois, en ce que la loi est une puissance normatrice, elle peut être un instrument de domination : « faire la loi », c’est alors, en fabriquant un outil de subordination, fabriquer des sujets. Enfin, nous verrons qu’en ce qu’il n’ y a de politique qu’en rapport avec un changement d’ordre, la réversibilité des positions des sujets dans la communauté politique leur permet de s’affirmer comme sujets d’action qui peuvent « défaire » les lois pour renverser un ordre injuste.







Tout d’abord, « faire la loi » est une nécessité pour parvenir à la constitution d’une communauté politique qui, garantissant la liberté de chacun dans l’union de tous, permette de préserver les hommes de cet état de rivalité et de crainte dans lequel ils se trouvent à l’état de nature.

En effet, pour parvenir à cette communauté politique qui garantit l’ordre, la paix civile, et la liberté de chacun dans l’union de tous, il faut avant tout nécessairement en passer par la fabrication de la loi, par la codification d’un droit qui permettra de préserver les citoyens de l’arbitraire. C’est l’idée que développe Rousseau dans son Contrat social. En effet, celui-ci se fixe l’objectif de trouver un ordre dans lequel « chacun (…) s’unissant à tous n’obéisse pourtant qu’à lui-même et reste aussi libre qu’auparavant ». Les hommes, à l’état de nature, vivent dans une certaine crainte à l’égard des autres, chacun disposant librement de sa force, de son « droit naturel », qui lui permet de s’auto-conserver par tous les moyens possibles. Mais cet état de crainte, dans lequel chacun exerce sa force, force par laquelle certains se font « maîtres », en ce qu’il n’est pas souhaitable, puisqu’il peut nuire à la vie de beaucoup, n’est alors pas durable. Les hommes, guidés par leur « loi de nature », qui les conduit à se préserver conformément à ce que leur prescrit la raison, concluent alors des pactes entre eux qui leur permettent d’aboutir au « contrat social », contrat par lequel ils s’engagent à abandonner leur droit naturel pour le remettre à la communauté : la multitude se fait peuple. En effet, cette première élaboration juridique, ce contrat, permet, par l’union des forces particulières, de sanctifier l’appartenance de chacun à la communauté. Ce contrat est bien illustré par l’adage « ma liberté s’arrête là où commence celle des autres » : si je ne renonce pas à ma liberté, celle-ci est désormais encadré par mon appartenance au peuple ; je me dois de respecter l’intégrité de chacun des membres de la communauté. La loi est ainsi rationnelle : « être libre, c’est obéir à la loi qu’on s’est prescrite ». Les rapports des hommes ainsi codifiés sous la forme du droit, leurs relations se font alors dans un ordre qui est celui de la paix civile, en ce qu’ils n’ont plus à avoir peur de la force des autres : l’entrée en politique est alors effective.

La codification juridique dans l’artifice du contrat apparaît donc comme une condition nécessaire à l’entrée en politique. Mais cette première élaboration ne peut suffire, et il faut, pour garantir l’ordre, l’équité et la stabilité de la société politique, en passer par la médiation d’un « législateur » à même de d’édicter des lois équitables, conformes à la volonté générale, qui vont participer d’un nouveau système politico-juridique. En effet, c’est ce qu’affirme Rousseau au chapitre 7 du livre II du Contrat social : si le peuple est « le souverain », en ce que c’est bien l’intérêt commun, dans la volonté générale, qui « commande », il faut cependant en passer par un « médiateur » pour faire la loi. Si la loi doit être écrite sous la dictée de la volonté générale, elle doit l’être par un législateur qui, par sa maîtrise rationnelle du droit, par sa connaissance aigue de la volonté générale, permettra d’exprimer au mieux cette dernière dans l’élaboration des lois. Ne fait pas les lois qui veut : « faire la loi » est un devoir lourd de conséquences, et celui qui en a la responsabilité doit donc manifester une certaine vertu. L’exemple de Numa l’illustre bien : lorsqu’il édictait les lois, celui-ci affirmait être inspiré par les Dieux, par les Muses, valorisant par là un certain idéal de justice, et donnait l’exemple en s’érigeant en véritable « modèle » qui faisait coïncider l’élaboration de la loi et l’obéissance à cette dernière dans un souci d’équité. Cette puissance de « faire » la loi n’est donc pas puissance de faire ce que l’on veut : elle engage pleinement celui qui « fait », mais qui dans ce « faire », n’est qu’un adjuvant de la volonté générale.

Mais cette « fabrication » de la loi par le législateur, qui agit en artisan ayant pour fin le maintien de la paix civile au sein de la communauté politique, doit, pour rencontrer l’adhésion de tous, être sanctifiée : comme l’affirme Rousseau au chapitre 8 du livre IV, il faut que les lois soient inscrites « dans le cœur des citoyens ». Faire la loi, c’est alors être à l’origine d’une « religion civile » : la puissance de sacralisation de la politique permet de faire adhérer le peuple à cette loi qui n’est pas vue ici comme une contrainte qui s’impose de l’extérieur aux citoyens, mais comme constitutive de leur être-en-communauté. Une fois entrés dans le corps politique, ceux-ci sont pleinement ce nouveau « corps » qu’ils font passer avant le leur. Le législateur doit ainsi encourager ce sentiment d’appartenance qui prend forme dans la « religion civile ». La loi qui rendait obligatoire en France le service militaire permettait ainsi d’encourager un esprit de groupe, un « esprit de corps », au sein duquel chacun participait d’un tout auquel il donnait la priorité : de nombreux discours exaltaient, pendant les deux Grandes guerres, ce sacerdoce, ce « sacrifice du corps individuel pour le corps de la patrie ». L’obéissance à cette loi, qui n’était au départ qu’un artifice, devient alors naturelle : le législateur, en « faisant » la loi, garantit la cohésion de ce nouveau « corps » qui, tel un organisme, devient un tout indivisible, uni dans l’obéissance à cette prescription commune. « Faire la loi », c’est donc rendre possible et pérenniser le « politique » par la constitution d’une religion civile.



L’élaboration de la loi permet donc à chacun de vivre dans la paix, d’exercer sa liberté précisément en ce qu’elle constitue l’obéissance à cette loi prescrite. La stabilité du corps politique est alors garantie par le sentiment d’appartenance à ce nouveau corps, que sanctifie le législateur par l’élaboration d’une « religion civile ». Mais si le pouvoir de « faire la loi » est entre les mains d’un seul, ou d’un petit groupe, est-ce que cet artifice qui permet de maintenir la paix civile va toujours dans le sens de l’intérêt commun ? En ce que la loi est « faite », fabriquée par certains hommes qui se prévalent du rôle de législateurs, celle-ci se conforme-t-elle toujours à l’intérêt commun ?





« Faire la loi », en tant que le « faire » est le privilège de quelques-uns, et en tant que la loi est une puissance normatrice, revient alors à entériner les relations de domination, les rapports de force à l’œuvre dans une société.

En effet, c’est ce qu’affirment Marx et Engels dans leur ouvrage le Manifeste du Parti communiste. L’histoire de l’humanité est l’histoire de luttes des classes, de rapports de force qui, loin d’être extérieurs à l’ordre juridique des sociétés politiques, le structurent de part en part. La société politique, dont la conservation repose inévitablement sur la production de richesses, et donc sur le travail, est loin d’être cette communauté unie, ce « peuple » ayant en partage un intérêt commun dont parlait Rousseau. La société est en fait divisée par des luttes entre ceux qui possèdent les moyens de production, et ceux qui, exploités par ces derniers, en font usage pour produire les richesses nécessaires à la conservation de celle-ci. Ces luttes, qui aboutissent à des rapports de domination, se traduisent, selon eux, dans l’élaboration juridique. En effet, celle-ci, si elle n’est pas le fait de la communauté politique dans son intégralité, est le fait d’une certaine élite, de la « bourgeoisie ». Se poser la question « qui fait la loi ? », et y répondre, revient à révéler le système de domination sur lequel repose la société, et que le droit, l’élaboration de la loi, sanctifie. Dans l’Empire romain par exemple, divisé en trois « classes » principales, les esclaves, qui n’avaient aucun droit, les plébéiens, qui avaient des droits mais dont le pouvoir était extrêmement limité, et les patriciens, les nobles au pouvoir, « faire la loi » était le fait de ces derniers. Si, pendant longtemps, rien n’interdisait explicitement qu’un plébéien puisse être élevé aux charges de législateur, ce n’était pourtant pas le cas : ces charges étaient réservées à l’élite constituée des patriciens.

Si la société politique n’est pas cette communauté de citoyens unis sur la base d’un intérêt commun, alors ce qui est exprimé dans la loi ne peut être le fruit de la « volonté générale ». Faire la loi », ce n’est plus, dès lors, élaborer un système juridique conforme à un idéal d’équité à même de garantir le bien commun, mais bien plutôt avoir la possibilité, en tant que l’on appartient à une certaine classe, à une certaine élite, d’entériner ce rapport de domination dans la codification juridique. Nous pouvons ici prendre l’exemple du « Poverty Act », voté dans les années 1830 en Angleterre, à une période où la pauvreté extrême conduisait tout un pan de la société à vivre dans une « misère noire ». Pour éviter de faire dépenser à l’Etat encore plus d’argent pour ces populations, les législateurs, en particulier les membres de la « Chambre Haute », de cette « House of Lords » qui réunit les nobles et les notables, ont décidé de dissoudre les petites organisations communales qui encourageaient le don de vêtements et de nourriture et la charité, pour créer des « workhouses ». Ces « workhouses », ou « ateliers de travail », étaient en fait des lieux d’exploitation de la main d’œuvre à bas coût en puissance que représentaient tous ces pauvres : le salaire y était moins élevé que le salaire minimum, afin d’éviter tout risque de basculer dans l’ « assistanat », et les travailleurs qui s’y rendaient étaient donc les plus pauvres, et par là-même les plus misérables. Les directeurs de ces ateliers leur infligeaient souvent de mauvais traitements et des baisses de salaires imprévues. Les pauvres, même en travaillant, restaient pauvres, se paupérisaient, et était par là-même marginalisés, exclus de la société politique : un cens d’un minimum de dix livres était imposé pour faire partie de l’électorat. Faire la loi, c’est donc ici fabriquer l’instrument de sa domination, de sa puissance, en lui donnant une légitimité sous la forme du « légal ».

L’inscription, la sanctification juridique de ces rapports de domination, revient alors à faire des membres de la société des individus qui ne valent que par leur force de travail, et en cela, à dissoudre les liens sociaux et familiaux. La loi devient donc un moyen d’asservissement de la masse : c’est alors la dissolution, l’anéantissement du « politique ». C’est ce qu’affirme Arendt dans Les origines du totalitarisme. En effet, les individus ainsi constitués comme des forces de travail, en perdent leur lien social : ils n’ont plus le temps de s’adonner à d’autres activités, et doivent travailler toujours plus pour survivre. Les citoyens ne sont plus des citoyens, mais des sujets qui, soumis à l’ordre politico-juridique, le subissent : c’est sur cette domination des sujets que reposent les régimes totalitaires. Nous pouvons ici prendre l’exemple du livre intitulé Le meilleur des mondes, d’Aldous Huxley. En effet, dans celui-ci, les individus, tous nés par insémination artificielle, n’entretiennent entre eux presque pas de relations, et celles-ci sont extrêmement codifiées. Chacun est assigné à un rôle précis, et, par la prise du « soma », un médicament qui permet de lobotomiser les sujets, ne peut contester l’ordre établi. Le groupe d’hommes au pouvoir, qui s’arroge le pouvoir de « faire la loi », s’érige ici en maître régnant en souverain absolu sur les sujets qu’ils dominent : la « fabrication » de la loi permet la fabrication des sujets.


« Faire la loi », en tant que c’est l’apanage d’une certaine classe, le privilège d’une élite, revient donc à entériner les rapports de domination qui existent au sein des sociétés et peuvent être légitimés par la codification juridique qui les inscrit dans l’ordre du « légal ». L’élaboration juridique conduit alors à annihiler, à dissoudre totalement le « politique » : le « faire », en tant que puissance d’action, opère un partage au sein de la société entre ceux qui peuvent, et qui dominent, et ceux qui ne peuvent pas, et sont donc exploités. Il ne s’agit plus d’aller, par la rectitude du droit, dans le sens du bien commun, mais du bien de quelques-uns. Mais en ce que ce « faire » constitue précisément une certaine puissance d’action qui caractérise tous les hommes, est-il toujours le propre d’une seule classe, d’une seule partie de la société, de la communauté ? En ce que chacun dispose d’une certaine puissance d’action, le politique n’est-il pas ce qui permet précisément de s’appuyer sur celle-ci pour passer de l’assignation à un rôle de sujet « soumis » à celui de « sujet d’action » ? Ne faut-il pas dépasser l’artificialité de la fabrication de la loi pour l’inscrire bien plutôt dans une « praxis » ?








« Faire la loi », c’est alors avoir la possibilité de renverser ce rapport de domination dans la forme des luttes permanentes qui permettent aux sujets soumis à l’ordre politico-juridique de se constituer en sujets d’action pleinement acteurs de ce « politique ».

En effet, s’il existe bien des rapports de force qui conduisent à sanctifier au sein des sociétés, une forme de domination, la politique est précisément ce qui permet de s’arracher à cette oppression pour se constituer en sujet d’action. C’est ce qu’affirment Marx et Engels dans leur Manifeste du Parti communiste. Si la bourgeoisie, la classe dominante, exploite les travailleurs et tire parti de l’élaboration d’un système politico-juridique en inscrivant cette domination dans l’ordre du légal, cette oppression conduit à la constitution d’un « prolétariat » qui s’érige alors en véritable contre-pouvoir. Cette masse de travailleurs pauvres, liée par une condition commune qui transcende les appartenances nationales, peut pénétrer le champ de la politique, champ duquel on l’avait écartée, pour s’organiser dans des « partis politiques » qui vont affirmer une force d’action pour renverser l’ordre établi. La création de l’Internationale des travailleurs par exemple, dans la seconde moitié du XIXème siècle, va permettre à de nombreux partis socialistes d’émerger en Europe, qui, reprenant les codes des classes dominantes, vont pouvoir mener de front une lutte pour l’amélioration du bien-être des marginalisés, des exclus, passant par exemple par l’élaboration d’une législation du travail dans des conventions collectives, ou par la fameuse « semaine de congés payés » du Front Populaire dans les années 1930. La politique est alors précisément ce qui permet de se libérer de cette oppression en se rassemblant en tant que sujet d’action, au nom d’une lutte commune : la loi est à faire, à s’approprier pour faire valoir ses droits en tant que citoyens.

S’il n’y a de politique qu’en rapport avec un changement d’ordre, la « loi » n’est plus, dès lors, quelque chose qui se « fait » par le processus artificiel d’une fabrication, mais quelque chose qui est « à faire » dans l’action. La puissance normatrice de la loi peut alors être transgressée pour affirmer de nouvelles possibilités d’action. C’est ce qu’affirme Foucault dans son cours au Collège de France intitulé « Il faut défendre la société ». Selon lui, la politique ne peut se limiter à l’élaboration d’un ordre juridique par un souverain ou par un législateur : la politique déborde la codification juridique qu’impose le droit, excède non seulement le juridique mais également le politique sous la forme des « luttes ». La société est structurée par des « luttes » qui façonnent les rapports des individus les uns aux autres, constamment changeants, toujours réversibles. Appartenir à la communauté politique, c’est avoir la possibilité, par la lutte, par la transgression, de faire valoir et de se réapproprier son pouvoir d’action pour faire de l’ordre juridique un ordre non plus uniquement légal, mais juste. Le 1er décembre 1955, Rosa Parks est arrêtée à Montgomery, en Alabama, pour avoir refusé de céder sa place à un blanc sous la ségrégation. Les policiers lui donnent une amende de 15 dollars qu’elle refuse de payer. Elle organise alors, avec Martin Luther King notamment, le boycott de la compagnie des bus de Montgomery et obtient, un an plus tard, par ce mouvement, par la « subjectivation » de ceux qui étaient soumis, marginalisés, qui s’érigent ici en sujet d’action politique, l’abolition, par la Cour suprême, des lois ségrégationnistes dans les bus. La possibilité de transgresser la loi, de subvertir cette puissance normatrice qu’elle constitue, permet donc d’aller dans le sens du « bien commun » en tant qu’il est garant d’une forme de justice : faire la loi, c’est alors la « défaire », la transgresser pour mieux renverser un ordre injuste.

La politique s’inscrit donc dans le champ du possible, de ce qui est « à faire », de ce qui reste « à faire ». C’est ce qu’affirme Pierre Rosanvallon dans son ouvrage La démocratie inachevée : le « faire », en politique, est toujours à conquérir, n’est jamais de l’ordre de l’acquis. Si la loi permet bien de codifier les relations qu’entretiennent les membres de la communauté politique, elle est bien plus un « principe » qu’une « règle », au sens où ce principe évolue avec le temps, avec l’histoire de la société, est tributaire d’une certaine « culture », d’un « moment ». La politique et ses modes d’actions se renouvellent sans cesse. La loi n’est alors pas quelque chose qui se « fabrique », qui se « fait » pour entériner un certain ordre politico-juridique, mais une « modalité d’action » : elle permet, par sa paradoxale « labilité », de s’adapter à l’esprit du peuple et du moment dans lequel elle s’inscrit. Ambroise Croizat affirmait ainsi : « ne parlez pas d’acquis sociaux, mais de conquis sociaux » : rien, dans le politique, n’est de l’ordre de l’acquis, et la loi est cette modalité d’action qui permet à ceux qui sont socialement marginalisés de se constituer en acteurs politiques de premier plan.






Ainsi, si l’entrée dans la communauté politique nécessite l’élaboration d’un ordre juridique qui va garantir sa stabilité, la rectitude de ses « lois » peut constituer un danger pour ceux qui y sont soumis. « Faire la loi », en tant que cela peut être l’apanage d’une classe privilégiée, c’est alors sanctifier sa domination en la rendant « légale ». Ce n’est plus dès lors le bien commun qui prévaut, mais l’intérêt de quelques-uns. Mais en ce qu’il n’y a de politique qu’en rapport avec un changement d’ordre, cette codification juridique peut être renversée par les sujets qui ne sont plus, par l’affirmation de leur pouvoir d’action, des sujets « soumis », mais bien des sujets d’action : faire la loi, c’est alors, en la transgressant, en la défaisant, affirmer son pouvoir d’action pour permettre l’émergence d’un ordre plus juste.


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