Le scandale aux 350 milliards d'euros
- Clémence Jonquet
- 2 déc. 2017
- 4 min de lecture
Les "Paradise Papers", on en parle et on en a beaucoup entendu parler, mais, au fond, qu’est-ce que c'est et d'où ça vient réellement ? Y a-t-il eu d'autres affaires avant ça ? Qui sont ces justiciers dénonçant les affaires fiscales de ces vilains riches avides de pouvoir ?
Plein de questions auxquelles je vais tenter de répondre de la manière la plus simple possible. A la différence des "Panama Papers" publiés l'année dernière, qui dénonçaient la fraude fiscale, les «Paradise Papers» sont des affaires révélées sur l'optimisation fiscale dans les paradis fiscaux, c'est-à-dire le détournement des règles fiscales à des fins personnelles et en toute légalité.
Pour donner un exemple, c'est comme si j'interdisais à ma petite sœur de manger des sucettes pour éviter les caries, et que celle-ci les remplaçait par des caramels. Au fond, elle n'a pas désobéi à la consigne, mais le résultat reste le même. De nombreuses entreprises ont joué sur les défaillances des règles fiscales pour payer moins d'impôts, en investissant notamment aux Bermudes , sur l'île du Man , aux Caraïbes et dans bien d'autres territoires à fiscalité réduite ou nulle…
Mais cette enquête ne touche pas seulement les entreprises : on compte en effet un grand nombre de particuliers dont j'aborderai plus tard les manigances. Si ces affaires ont été révélées, il faut remonter une année en arrière, lorsqu'une source anonyme ayant accès à des données venant de cabinets de conseil a envoyé au célèbre journal Allemand, "Süddeutsche Zeitung", une grande quantité de documents concernant ces optimisations fiscales.
Le journal ne pouvant traiter l'ensemble des informations, il se tourne vers l'lCIJ, « International Consortium of Investigatives Journalist» ou «Consortium International des Journalistes d'Investigation» , qui avait déjà révélé l'existence des "Panama Papers". C'est donc grâce à l'association de 70 pays , 93 médias et près de 360 journalistes qui ont passé plus de 400 jours à décrypter et analyser environ 13 millions de documents que ces affaires ont éclaté au grand jour. Beaucoup de chiffres certes, mais ce n'est rien à côté des sommes qui ont été amassées par les instigateurs de ces optimisations. On sait aujourd'hui que le scandale s'élève à plus de 350 milliards, soit près du double du PIB de la Grèce !
Si vous avez du mal à matérialiser cette somme, dites-vous qu'elle correspond au prix d'environ 117 263 843 648 pots de Nutella ; autant dire que ça fait beaucoup.
Cette enquête a permis au Consortium d'accueillir de nouveaux médias en son sein, comme "France Info", qui a pu collaborer avec le journal "Le Monde", déjà membre de l'organisation. Anne Michel, journaliste au Monde justement, témoigne que cette affaire a demandé de la part des investigateurs beaucoup de rigueur et de confiance car aucune information ne devait fuiter.
De plus, les médias ont dû interroger de nombreux spécialistes qui avaient également l’obligation de ne rien divulguer et sont même allés jusqu'à contacter les « malfaiteurs » eux-mêmes pour obtenir une justification de ces actes. Les « Paradise Papers » révèlent certes une entraide entre les pays, mais ils nous poussent à nous interroger sur la partie plus morale de l'histoire, et ainsi sur les stratégies que ces personnalités et entreprises ont mises en oeuvre afin de déjouer le système fiscal. Tout d'abord , elles ont toutes fait appel à des cabinets conseillers dans l'optimisation fiscale pour leur permettre de placer leur argent aux endroits les plus rentables. Ici, on dénonce surtout "Appleby", cabinet d'avocat pourtant très reconnu par la profession, mais qui a permis, notamment à la Reine d'Angleterre d'investir près de 11 millions d'euros aux Bermudes et aux Caïmans, où les taxes sont inexistantes.
Mais ce n'est pas tout ; on peut encore citer de nombreux proches de Donald Trump ou bien le chef du gouvernement Canadien, Justin Trudeau. En quittant la sphère politique, on retrouve le champion de formule 1 Lewis Hamilton, la chanteuse Shakira (désolée pour les fans) qui aurait été domiciliée aux Bahamas tout en plaçant des milliers d'euros de droits d'auteur à Malte, ou encore le leader du groupe de rock Irlandais U2, Bonno, qui détenait indirectement un centre commercial à Utena, dans le Nord-Est de la Lituanie. Niveau entreprise , pas mal de manipulations également puisque l'on compte de grandes firmes, comme Nike qui a réussi à mettre 12 milliards d'euros à l'abri de l'impôt ,en Europe,en créant un empilement de sociétés entre les Pays-Bas et les Bermudes, sans parler des autres géants tels qu'Apple, Facebook, Total, Engie… Le gros problème, si ce n'est le problème moral de ces affaires, est celui de la légalité des actions; en effet, les journalistes ne peuvent rien contre Appleby qui ne commet aucune infraction à la loi. Ceux-ci se défendent d’ailleurs si bien en disant agir « en toute légalité ».
Aussi, le gouvernement européen est actuellement en train de mettre en place des restrictions au niveau de ces paradis fiscaux pour les obliger à changer leurs politiques économiques sous peine de sanctions. Mais celui-ci n'a pas agi avant la révélation des investigations... D'un point de vue éthique, on peut également s’interroger sur le fait de vouloir gagner toujours plus alors que de nombreuses populations restent en manque cruel de richesses.
Cette affaire permet donc, en plus de remettre en question le système fiscal, de réfléchir sur les inégalités toujours plus présentes dans le monde.

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