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"Là où naît la lumière"

  • Yaelle Gelineau
  • 4 nov. 2017
  • 10 min de lecture

L’enjeu existentiel et ontologique

De la découverte du feu jusqu’à l’invention de la pile électrique en passant par le siècle des Lumières, le motif lumineux a toujours été parmi les plus éclairés de nos sociétés humaines. Associée à la connaissance grâce à la proximité des verbes voir et savoir, la lumière est donc, par opposition au sombre, à l’obscur ou au ténébreux, revendiquée comme étant source d’humanité. Mais la lumière peut aussi être éblouissante, aveuglante, voire trompeuse puisqu’elle induit nécessairement des zones d’ombres. Laure Molina s’interroge quant à elle sur la complexité de la lumière, sur sa non-unicité, sa diffraction, et le rapport que l’on peut y établir avec l’individualité humaine.

Ce qui fût vu.

En entrant dans l’exposition de l’artiste, nous ne voyons au premier abord rien d’exceptionnel : des murs bas, blancs, nus ; des angles bruts, cassés, brouillons ? Des néons imbriqués dans les murs, barrés de filtres de couleurs mais reflétant sur le mur opposé une lumière totalement blanche. Avant de nous intéresser plus particulièrement à la lumière, penchons-nous sur son origine, là où elle naît : sur les murs.

Pourquoi ces angles ? Nous le comprenons en effectuant un pas en arrière. En prenant du recul vis-à-vis de notre perception. Nous remarquons alors des formes plus cohérentes, des lettres, un mot. F U T. Fut ?Nous pouvons penser dans un premier lieu, très simplement, aux fûts, tonneaux de vins empilés dans ce lieu précis quelques années auparavant, ancienne taverne, ancrage dans l’espace et dans le temps, retour aux racines, au sol, aux ancêtres, revendication d’un passé plus simple. Passé simple ? Ce qui fût n’est plus.

Ce serait alors aussi pour nous démontrer que, lorsque nous prenons du recul sur nous même, et que nous abordons notre passé de manière plus simple, trois lettres suffisent à résumer nos peines et bonheurs. Ce serait donc dans un souci de simplification du moi, d’une meilleure appréhension du temps qui coule et s’écoule, de notre rapport au passé, de notre rapport à nous même, que Molina a choisi ces trois lettres, supports de lumière. Lumière qui jaillit et inonde d’une clarté purificatrice un passé que nous acceptons et qui nous accepte. Une lumière blanche, apaisante et reposante, une lumière qui nous illumine et met en relief et perspective notre propre aura, pour mieux éclairer les points obscurs de notre être complexe. Et dans cet apaisement du passé, dans cette compréhension de nous-même, nous avançons vers la lumière.

Nés, on barrait des néons barrés.

D’un pas mal assuré, nous nous plaçons face à cette source lumineuse barrée de bandes colorées. Les plus scientifiques y reconnaîtront les ondes nées de la diffraction lumineuse, les autres croiront voir un arlequin éclairé.

Si le mystère des néons colorés retranscrivant une lumière blanche disparaît avec l’explication scientifique de la complémentarité des couleurs et de la diffraction de la lumière, le résultat n’en reste pas moins impressionnant. Nous nous plaçons donc devant cette lumière, et, confus, nous la fixons, incertains encore de sa signification. Peut-être démontrer l’harmonie ressortissant de la diversité ?

La pureté issue, non pas d’épuration ou d’eugénisme, mais de la superposition de « couleurs », et alors, par association, de personnes, en apparences opposées ? Mais ne devons-nous comprendre cette œuvre qu’au niveau collectif ? Ou pouvons-nous également en tirer une leçon personnelle ? Voire universelle, mais existentialiste et ontologique ? C’est alors que nous comprenons enfin l’œuvre. Nous nous tournons, non plus vers la lumière, source de toute vie, mais vers le mur, réceptacle de nos êtres.

Corps et Graphie.

C’est alors que nous comprenons. Nous voyons soudain jaillir, à l’endroit où le mur n’était alors que blancheur et pureté, une nuée de couleurs, une ombre arc-en-ciel, une foison de spectres unifiés par notre propre silhouette.

Nimbé par cette lumière découpée et en en cachant certains filtres, notre corps permet aux couleurs de s’exprimer. Notre corps, au centre d’une œuvre d’expérience. Notre corps, devenu œuvre. Notre corps, notre lumière, notre spectre. C’est seulement en arrêtant de nous tourner uniquement vers nous-même que nous avons été capable de constater l’impact que notre corps, notre être, pouvait avoir sur le mur de la vie.

Nous offrons au monde, grâce à cette lumière providentielle, une palette de couleurs, qu’il n’appartient qu’à nous-même d’exploiter. S’organise alors une chorégraphie spontanée entre moi et moi-même. Contraste évident entre mon moi physique et mon ombre, que j’apprends pourtant à m’approprier par les mouvements, par la motion, par l’émotion.

En nous dérobant à la lumière, en nous effaçant, le mur reprend sa blancheur, mais il nous apparaît pourtant désormais bien fade face à l’explosion de couleurs que notre corps provoquait. Splendeur de l’harmonie colorée face à la banalité d’une apathie bien vide. Nous reprenons notre place au centre de cette lumière à présent amie, et l’appréhension du départ, suivie de l’incompréhension, a vite laissé place à l’exaltation liée à la découverte et l’exploration de mes capacités. Que puis-je faire, moi qui existe, moi qui peins le mur de l’ombre de mon corps, moi qui tue l’ordinaire et fais valoir mon unicité ? Ce n’est rien de moins que les différents cycles de la vie que Laure Molina nous expose ici. Cycles de couleurs qui s’achèvent par l’explosion d’un corps omnipotent, omniprésent, Homme.

IndiviDualité.

Nous contemplons cette ombre avec douceur et sérénité, et comprenons alors enfin l’importance de la prévalence de l’unité face à l’unicité.

Ce « ci » qui inhibe toute diversité, cette scie qui divise tout humain, celle-ci, si destructrice, si instrumentalisée pourtant, nous nous devons de la rejeter. Non seulement entre nous tous, spectres uniques qui ne peuvent ni juger, ni hiérarchiser, ni contraindre, mais aussi, et peut-être à plus forte raison, en nous-mêmes. Ne combattons plus notre dualité, notre complexité, notre diffraction interne ; notre essence n’est resplendissante que si nous la laissons s’exprimer par le biais de notre personnalité chatoyante ; apprenons à aimer ce spectre aux multiples facettes, aux multiples couleurs, aux multiples rayons ; comprenons qu’un individu n’est pas qu’un, qu’il est toujours plus que cela, que nous sommes toujours plus que cela.

Mais pourtant, cette acceptation de nous-mêmes comme des autres n’est possible que si nous nous tournons vers le monde, vers le mur, et non plus vers le soleil, lumière trop blanche, qui nous aveugle et empêche toute réflexion, intellectuelle et spectrale. Transmission d’un idéal ontologique, Laure Molina, par la simplicité de son exposition, nous démontre pourtant que cette entreprise d’introspection est loin d’être hors de portée, et au contraire, il nous suffit de tendre la main pour en constater l’impact.

Nous révélant notre essence, changeante mais stabilisée par cette ombre réunifiquatrice qu’est mon corps, Molina rappelle également qu’il est dans notre nature d’être pacifique, puisqu’une ombre sans œil ne peut juger, une ombre sans poings ne peut frapper, une ombre sans haine ne peut maudire. Ce n’est que dans la superficialité de nous-mêmes que nous créons nos différends, dans l’aveuglement que nous plissons les yeux, dans l’obscurité que nous craignons.

Mais alors quel enjeu ce constat peut-il supposer pour une société qui n’apprend plus qu’à regarder à travers la lumière bleue, froide et impersonnelle d’écrans interposés ?

La redéfinition politico-sociale

Que lumière soit faite, qu’on écarte toute zone d’ombre. Que chacun tende vers l’unité, la cohésion, l’uniformité. Mais de quelle forme serions-nous alors constitués ? Quelle est cette ombre que l’on nous empêche de cultiver ? N’écartons-nous pas alors le spectre coloré qui pourrait pourtant nous constituer individuellement ? L’équilibre entre individualité et collectivité est difficile à atteindre ou à discerner, et il faut parfois replonger dans des racines oubliées pour comprendre comment diffraction peut aussi rimer avec harmonie sociale et collective. Laure Molina explore cette dimension politico-sociale qu’il nous faut constamment remettre en question, interroger, éprouver, pour amener à un affinage le plus précis possible.

Bleu Blanc Rouge.

Comment comprendre encore cette diffraction lumineuse ? Au niveau collectif, nous sommes tenus de respecter des lois et d’obéir à des commandements ; en quelque sorte, nous sommes maintenus en place, par le désir de la collectivité, entre la lumière et le mur, et beaucoup voudraient que nous fixions les néons sécables scandés de différences pour supposer que ces couleurs ne soient pas compatibles.

Ne surtout pas se retourner, ne surtout pas constater l’harmonie et le mélange purifié de la diversité, ne surtout pas voir. Dans l’instrumentalisation de la lumière, dans l’instrumentalisation des pensées, les néons ne sont qu’armes et divisions, le bleu n’est que glace, le blanc vide abyssal, le rouge n’est que sang et l’homme n’est que violence. Mais c’est alors faire abstraction de notre essence, faire abstraction de ce qui est de plus beau, de plus coloré, de plus humains en nous. Oublier que nous sommes un en étant dix, que la lumière nous unit et que l’homme nous divise. Bleu, blanc, rouge ; vert, violet, jaune : ne confondons pas mots et maux, couleurs et douleurs, diversité et adversité.

L’Homme de Néon-dertale.

A mesure que notre chorégraphie lumineuse se poursuit, notre réflexion nous amène à nous interroger à présent sur le rapport entre nous et la lumière, sur notre position face à celle-ci, notre manière de réagir à ces néons qui abondent. Quel changement pour moi et pour le monde si je me positionne en suivant les mouvements de la lumière ou si je m’y oppose ? Si mon bras est horizontal, s’il suit le jeu du néon, si l’adéquation et le consensus écrasent l’individualité et l’opposition, alors mon ombre est unique, grise, et plus je m’approche de la source, plus la masse sombre inhibe lumière et blancheur.

La source lumineuse, quoique populaire et rassurante, se révèle en réalité être meurtrière. Meurtrière de pensées, d’individualité et de prise de conscience. Ainsi est la politique. Sous prétexte d’unité sociétale, nous devrions faire place au conformisme. Mais du même coup abandonner notre ombre chatoyante pour revêtir une âme grise. Au profit de quoi ? De qui ? De néons impersonnels qui n’ont pour but que d’absorber encore davantage de lumière. Il ne suffit pas de nous éloigner de cette source inhibitrice de pensée humaine, la distance qui s’impose à nous de prendre contre ce fléau d’humanité n’est que le premier pas à effectuer. Mon ombre restera grise, même en m’éloignant, puisque je laisse encore du terrain à cette lumière pourtant ni omnipotente, ni homme, ni puissance.

Equilibre qui libère.

Et pourtant, la solution n’est pas la fuite.

Sortir du champ de la lumière ne nous permettrait pas de resplendir, au contraire, nous abandonnerions définitivement toute forme de couleur, et donc d’ombre. Non, nous avons besoin de cette lumière, comme nous avons besoin de la politique. Mais il faut savoir trouver l’équilibre, il faut savoir se recentrer sur soi-même, en utilisant la lumière mais en ne se laissant pas utiliser par celle-ci. Positionnons-nous perpendiculairement à la lumière, tout en évoluant toujours au sein de celle-ci. Retrouvons nos racines, ancrons-nous au sein de nous-même, comprenons notre nature, comprenons notre impact politico-social, et renouons avec notre ombre. Forte, colorée, et personnelle.

Ainsi sera notre vie. Mais seulement si nous rejetons le conformisme. Toujours accéder aux caprices déraisonnés de la masse lumineuse nous reléguerait au rang d’objet dont on peut disposer. Nous serions de ceux qui ne réagissent pas quand on les bouscule, de ceux qui ne veulent plus provoquer de remous dans un cercle visqueux d’assujettissement et d’aveuglement perpétuels, de ceux qui vivent mais n’existent plus.

Exister, c’est oser. Oser se démarquer, oser contrer, oser bousculer, oser redéfinir et questionner, oser être au zénith de notre vie lumineuse.

Ombres Massives.

Ne croyons plus naïvement que l’unité est une force en elle-même; l’individualisme l’est encore davantage. L’unité n’est force que pour la lumière, pour la source, qui projette alors sur le mur une ombre, unifiée certes, mais unifiée dans l’annulation des couleurs.

Je m’approche de toi, nos ombres s’enlacent, s’étirent, se confondent, jusqu’à ne faire qu’une, une entité. Mais une entité sombre, fade, froide. Nos corps, nus de couleurs, suent de douleurs ; ils se gèlent, se figent, se brisent. Voici la triste malédiction du consensus absolu, de l’annihilation de soi, de l’abandon d’un individualisme salvateur.

Seul, mon corps danse, s’élance, épris d’une douce liberté ; et mon ombre brille, resplendit, rayonne dans son spectre infini d’intenses couleurs. L’abandon de cette ambroisie signerait le refus d’une vie pour soi. Plonger la tête dans le sable dans un réflexe animal, et jeter ses yeux dans une âme grise. Néanmoins, le néant social n’est pas lui non plus, la solution idyllique. Danser seul devient lassant, et je pourrais être prêt à perdre quelque peu de mon éclat pour retrouver la chaleur de ta peau. Il faut apprendre à apprivoiser l’autre, à s’apprivoiser soi-même, pour ne pas se limiter à un assemblage total de toi à moi. Danser à deux, conserver son unicité, tout en tendant vers une unité relative. Unité du corps, liberté de l’esprit. Unité sociale, liberté d’opinions. Unité politique, liberté de points de vue.

Mais opposer unité et liberté, ne serait-ce pas, cela aussi, trop limitatif ? Ne reviendrait-ce pas à adopter une vision binaire, vision que Laure Molina rejette tout autant ?

Le rejet d’une vision binaire

Citoyens d'une nation Cartésienne, apprenons que 1+1=2, et que la science régit tout, berçons-nous de contes manichéens où être méchant ce n'est pas gentil, et surtout, ne remettons pas en questions nos institutions. Ébranler les structures ? Mais on pourrait tomber ! Il est tellement plus confortable de fermer les yeux…

Mais vivre aveugle sourd et insensible, ne serait-ce pas aussi abandonner la vie ? Chut… N'y pensons plus, nous aurons oublié demain… Seulement nous avons vu. Laure Molina qui ouvre les yeux et force à entendre. Qui bouscule et brûle les conventions. Un autodafé contre l'ignorance. Alors, puisque nous y sommes… autant plonger dans cette lumière !

Les Manichéens ne manient qu'un mannequin.

Pour poursuivre encore davantage cette entreprise de remise en question et de questionnements introspectifs, l'artiste installe, pour nous, un nouvel atelier.

Deux néons, non plus barrés de couleurs chatoyantes, mais au contraire particulièrement fades et nus, espacés, sans cohésion apparentes, qui laissent sur le mur une coulée froide et terne d'une lumière non attrayante. Ainsi les idées arrêtées et non nuancées. Quand une seule couleur vient frapper le mur de ses poings froids, quand une seule idée vient frapper la vie de son schéma limitatif, alors l'humain disparaît, la vivacité disparaît, et un embryon vite avorté prend à demi forme dans les miasmes des rejetons lumineux.

Nous nous approchons tout de même, curieux, de cette lumière blanche, et naît alors une maigre ombre très sombre aux membres déliés. Double pâle de moi-même, je me meus excessivement lentement, comme engluée dans cette lumière inhibitrice d'humanité, et mon être fantasmagorique, privé de ses couleurs, de sa chaleur, de son entièreté, m'ennuie.

Habituée à l'acceptation de mon spectre multiple, sa limitation unique le mutile d'une manière insupportable. Être cadavérique, la rigidité s'empare de moi, et ma souplesse d'antan n'est plus qu'un souvenir. Loin d'être une préfiguration de la décadence naturelle humaine, cet atelier de Laure Molina nous prouve qu'après avoir goûté à la totalité de notre être, nous ne pouvons plus jamais replonger dans cette vision unique d'un être gris.

Penser la vie en noir et blanc nous oblige à oublier la définition d'un arc-en-ciel, à oublier que c'est dans les nuances que se trouvent les plus belles vérités, à oublier qu'il est un temps où il faut savoir élever notre propre voix, créer notre propre voie.

Apprendre, avec l'aide de l'œuvre de Laure Molina, mais surtout par notre propre force humaine, à délaisser notre être reptilien qui se dessine crûment sur ce mur sali et guide nos pas quand nous fermons les yeux.

Ouvrons donc nos yeux, dessinons à l'aide de notre corps les graphies colorées de nos êtres, et n'oublions jamais que, si c'est en écoutant ceux qui dorment qu'on oublie de réaliser nos rêves, alors c'est en osant rêver que nous vaincrons le cruel Morphée aux crocs sucrés.


 
 
 

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