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L'émotion par les motions

  • Yaelle Gelineau
  • 12 oct. 2017
  • 6 min de lecture

Parce que la danse, c'est toujours plus que quelques mouvements lyriques et un peu de musique niaise, parlons aujourd'hui d'un spectacle lourd de sens et d'interprétation, mené par la compagnie Dyptik, qui fait vibrer le sol, l’air et l’âme.

Penser, Danser, Panser.

Rien que le nom de leur représentation pourrait nous occuper pendant de longues pages. D-Construction. Déconstruction. Des constructions? Constructions socio-politiques ou édifices personnels? Savoir bouger les pierres pour les replacer, les remplacer, rebâtir les bases de nos structures, ne pas avoir peur de les ébranler, secouer, bousculer.

C'est précisément ce que se propose de faire cette compagnie au profond message politique et existentialiste. Nous emmener, nous porter, nous transporter au fil d'un voyage de remise en question profondément intime et collective.

En plein centre-ville, dans un parc public à la fréquentation diversifiée, leur structure simple, qui se veut accessible, interroge, intrigue, interpelle. Une large planche de bois scindée en deux par un mur de fer grillagé. Le public est invité à faire corps avec la construction, à prendre place à même la planche, ne laissant que de fines bandes libres autour de ce grillage.

Avant même que le spectacle ne commence réellement, la plèbe s'investit déjà de son pouvoir participatif. Les enfants effleurent ce mur intriguant, s'organisent au rythme de leur propre musique interne et esquissent déjà quelques gestes désordonnés; les adultes se regardent, amusés, à travers ce même grillage intergénérationnel. Face à face, nos visages quadrillés se contemplent. Je te regarde, toi, que j'aurais ignoré sans cette construction, et déjà, nous existons.

Ascension à sens unique.

Une pulsation, un rythme, une vibration. À mesure que la musique s'élève, rengaine lancinante aux notes familières, dans le public, au milieu-même de notre foule populaire, une personne se lève. Femme aux membres déliés et à la démarche gracile. Regard de braise et peau de feu. Nymphe ou succube qui s'anime, s'avance, se place au centre de la scène, derrière le grillage, et me fixe. Nous fixe. Mélange de danse contemporaine et de hip-hop, ses mouvements se font de plus en plus saccadés, de moins en moins fluides, en proie à un malaise grandissant au gré du rythme de la musique.

Seule face à cette construction immense, invincible, inébranlable, la femme se perd, s'oublie, se meurt. De désespoir, ses doigts se glissent entre les mailles du grillage, et lentement, son corps se hisse. Mélancolie douloureuse, symphonie du combat d'une vie qui s'échelonne, son ascension langoureuse se poursuit. Ascension sociale au prix de sacrifices transperçants ou apprentissage individuel d'une croissance forcée qui nous laisse adultes et vidés de vie. Son visage se crispe, ses muscles se tendent, elle nous domine de son regard froid, mais ses traits trahissent déjà les sillons fumants que laissent les flèches glacées de la solitude.

Lasse de son perchoir qui bloque ses gestes, la femme se laisse lestement retomber sur la planche, et peut enfin se mouvoir librement. Démonstration de la nécessité de retrouver ses racines, de se connecter avec le sol, de savoir combiner les envolées lyriques qui nous élèvent et percent notre cage d'argent, avec le besoin d'être terre à terre et de se recentrer sur la réalité.

Mais ma réalité a-t-elle toujours de la valeur si je danse seule éternellement ? Savoir vivre avec moi-même, n'est-ce pas d'abord savoir vivre avec l'autre?

La réunification des deux corps.

Modification de la musique et gestes plus lents, la plèbe en attente et le temps en suspens. La foule se déchire alors, et surgit de ses entrailles un homme. Démarche féline, il se fraie un passage d'entre les humains pour rejoindre la silhouette gracile qui se tord sur scène. S'approcher, se rencontrer, s'apprivoiser doucement. Danse qui s'accorde, bras qui s'alignent, muscles qui s'allient et êtres réunis. Leur danse transperce et déchire le temps d'une douce langueur. Harmonie des corps et symphonie symbiotique : véritable manifeste humaniste. Tout comme les lettres ont besoin d'être dans un ensemble pour porter du sens, cette danse nous invite à ne pas penser trop rapidement que l'individualisme est la solution idéale à l'existentialisme. Le O ne "perd" pas sa valeur quand il est associé au N, il change, se modifie, et gagne en profondeur. ON existe. Comme dans un modèle synergique où 1+1=3 ; la société ne t'aliènera pas si tu décides d'activement conserver ton identité; au contraire, elle peut même t'aider à t'accomplir, te donner la force nécessaire pour t'élever, et dépasser les barrières que l'on érige sans réfléchir, les cages dans lesquelles on s'enferme instinctivement, la caverne dans laquelle il est si confortable de rester enfermé.

Nouvelle intensification de la musique, percussions de plus en plus puissantes, rythme saccadé et mécanique, nouvelle élévation d'une personne dans le public. Puis une autre, et encore une de plus, puis c'est tout un groupe qui se meut désormais sur scène. Toute une société qui naît. Danse de combat, mais encore de cohésion et surtout de force, le groupe reste le plus puissant face à l'individu esseulé. Ensemble ils s'attaquent à la structure inébranlable qui scinde leur terrain en deux. L'inébranlable, ce n'est plus qu'un souvenir, et bientôt tous ont franchis cette barrière aisément. Unicité fondue dans la masse, c'est une armée qui s'élance à corps criants dans les airs. Vole et virevolte, danse et s'accroche, sur un air de combat. Mais combat contre qui, contre quoi? La barrière est franchie, l'unité est trouvée, et alors quoi? Quel combat reste-t-il à mener? À courir sans cesse sans savoir vers où, on finit par se prendre les pieds dans le tapis.

Rêvons révolte.

La cohésion s'effrite, et les danseurs s'immobilisent tous petit à petit. Seule la femme du début se débat encore, et hurle de ses membres contre cette inhibition des mouvements. Ses anciens acolytes, le regard vide, la fixe sans comprendre la raison de sa révolte, puis tourne leurs yeux sans vie sur la partie Nord du public.

Société qui s'endort et s'appuie sur son présent après avoir pourtant vaincu tellement d'obstacles par le passé. Seuls quelques uns osent encore se soulever contre ce qu’il reste toujours à affiner. Malgré l'incompréhension ou le jugement d'autrui, comment laisser taire cette voix qui crie en nous et qui nous pousserait, si seulement nous l'écoutions davantage, à abattre tellement d'autres barrages sociaux!

La femme gravit une nouvelle fois le grillage, mais avant de retourner dans la première partie de la scène, lance un dernier regard de défi aux danseurs immobiles. Elle se tourne alors vers la partie Sud du public, passe au milieu des personnes subjuguées par sa force, et s'arrête devant une enfant, lui tend la main, l'aide à se relever, et la pousse à s'avancer sur la scène. Après avoir répété cette opération plusieurs fois, c'est bientôt toute la moitié Sud du public qui se tient debout, droite, fière, devant le grillage ; alors que la moitié Nord, immobilisée par le regard vide mais menaçant de la troupe immobile, reste sagement assis devant le grillage. La femme franchit alors cette barrière une dernière fois, et, dansant avec force autour des danseurs, les "ranime" jusqu'à ce que tous se mettent enfin à faire trembler le sol avec force.

Vivre vibrants.

La musique, de plus en plus forte, répète en boucle la phrase "Un jour nous serons partis", rappelant l'absurdité d'une vie éphémère, mais aussi l'importance de profiter de notre existence actuelle pour, justement, exister, et ne pas se contenter de rester assis, passifs, invisibles.

Passant au milieu de nous tous, les danseurs finissent par faire se lever la totalité du public, nous réveillant, nous faisant prendre conscience de l'importance de l'entraide, de l'unité (qui n'est pas toujours uniformité) et de délaisser le chacun-pour-soi et les valeurs véhiculées par un capitalisme qui brime les essences d'humanité.

Et alors que nous ébranlons à notre tour les structures qui nous contraignent et nous enserrent, la danse s'achève, mais non le combat. A mesure que la musique meurt et que la foule se disperse, nous reprenons, ébranlés nous aussi, nos esprits. Tandis que nous nous remettons en mouvement et nous dirigeons vers la sortie, nous réalisons alors que le grillage n’a toujours été qu’une construction de notre esprit, et qu’il n’appartient alors qu’à nous de procéder à sa D-construction. Démontrant l’intemporalité de ce combat interne qu’il nous est nécessaire de mener, les enfants autour de nous reproduisent les mouvements qu’ils auront retenus du spectacle, et nos yeux s’attardent encore une dernière fois sur cette simple planche scindée. Construction.


 
 
 

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